« KuklArt » Magazine

Il ne faut pas qu’on soit à l’aise

Nikola Vandov, Mihail Baykov / Personnalités

— Nikola Vandov et Mihail Baykov discutent avec le metteur en scène Veselka Kuncheva

Nikola Vandov. Étant enfant, est-ce que tu rêvais de devenir metteur en scène ? Et de façon général quels étaient tes rêves ?

Veselka Kuncheva. Je n’en ai pas rêvé, mais je me souviens avoir été un enfant renfermé. Je préférais m’imaginer des choses et des histoires, des héros, etc. Mon jeu préféré était celui des petits chevaux. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’était de jouer toute seule contre trois autres joueurs que je mettais des heures à imaginer. Je connaissais le caractère de chacun, quelle était sa motivation à jouer, pourquoi il voulait gagner, quel était son but. Pendant que je jouais et je jetais le dé à la place des autres, ils se fâchaient, faisaient des scandales. Un jeu pouvait continuer deux, trois heures et c’était passionnant. C’est comme lire un bouquin. Je ne jouais pas beaucoup avec les enfants. Ma mère pensait que j’étais sociopathe. Tout cela me fait penser que dès mon plus jeune âge j’avais l’envie de créer mes propres mondes imaginaires, c’est-à-dire de créer des mondes différents qui fonctionnent et que je puisse comprendre. Par ailleurs, mon lien avec le théâtre est le fruit du hasard. Mon frère fréquentait des cours pour devenir comédien. Et c’est grâce à lui que j’ai commencé les cours à l’école d’Orhan Tair. J’ai commencé petit à petit à participer. J’ai très vite compris que j’avais le trac et que je préférais observer plutôt que participer. Quand je me suis présentée au concours d’entrée pour devenir metteur en scène, j’étais d’abord admise dans la classe du professeur Atanas Ilkov. C’est ensuite que je suis passée dans celle du professeur Slavcho Malenov.

Nikola Vandov. Tu as dit que ton plus grand professeur est Marieta Golomehova, que tu as beaucoup appris d’elle, mais qu’il reste encore tant à apprendre. Est-ce vrai ?

Veselka Kuncheva. Absolument. Et j’espère en apprendre encore. Sinon ce métier n’a aucun sens. À mes yeux, Marieta est le plus grand professeur en ce qui concerne la pratique. Je peux nommer tant d’autres de grands professeurs, venant du cinéma, du théâtre, des livres mais Marieta est la personne avec laquelle on continue le chemin de l’apprentissage ensemble. Au début c’était principalement moi qui recevais des leçons d’elle. C’est aussi elle qui m’a permis de croire que ce que nous voyions et ce que nous voulions faire, tout cela était juste. Au début les inconnus sont bien plus nombreux que les connus. Le grand changement et la décision de faire du théâtre qui me passionne sont venus du laboratoire à Stara Zagora, dirigé à l’époque par Petar Pashov et Petar Tsankov. Ils nous y emmenaient, nous montraient comment essayer, se détendre, ne pas chercher à atteindre des résultats. Sans craindre de commettre une erreur, de tomber. Et c’est alors que j’ai compris que c’est ce théâtre que je voudrais faire. Nous avons commencé par The Big Quixotic Jungle, Pinocchio-interdit aux enfants et quelques autres spectacles extrêmement difficiles à mettre en scène. Difficiles car le système que nous utilisions n’était pas encore admis. Le fait de ne pas avoir de dramaturgie stable, de partir de zéro, d’étudier plutôt le thème en train d’être développé grâce aux acteurs sur scène et au matériel que Marieta leur donne. Tout spectacle est risqué quand on travaille selon ce principe. On n’est jamais surs d’atteindre notre objectif. À chaque fois que nous nous aventurons dans les profondeurs d’un spectacle, le risque de ne pas pouvoir y retourner est bien réel. À chaque fois que je me sens bien au cours d’un travail, que je me sens à l’aise, je sais que quelque chose cloche. J’entame de suite une discussion avec Marieta afin de trouver l’erreur. Il ne faut jamais qu’on soit à l’aise. Cela signifie qu’on joue sur du velours.

Nikola Vandov. Cela ressemble à du masochisme, mais on dit que c’est ainsi que le grand art est né …

Veselka Kuncheva. Mais sinon l’homme est un être paresseux. Il se laisse tenté par ce qui est sûr, facile. C’est ainsi que nous en sommes fait et nous devons constamment lutter. Quand on joue sur du velours, j’ai l’impression qu’on arrête de vivre. C’est drôle, mais je suis justement en train d’écrire un scénario portant sur le marécage où nous en sommes tous, en train de s’enliser de plus en plus par peur de faire ce que nous désirons véritablement. À chaque fois que j’écris un texte, une espèce de viol de l’âme se produit. On doit récupérer une part de moi et l’extirper. Et à chaque nouveau projet l’âme se défend de plus en plus. Elle se méfie, elle connaît les mécanismes et construit sa défense. Il est de plus en plus difficile de briser ces défenses et de sortir quelque chose car c’est douloureux. J’ai besoin d’une période beaucoup plus longue pour écrire ne serait-ce qu’un court texte. Mais je dois mener ce combat avec moi-même et inciter cette âme à sortir, arrêter de se cacher confortablement.

Nikola Vandov. Existe-t-il des cas où tu t’es noyée ?

Veselka Kuncheva. Oh, oui ! Oui ! D’après moi, nous avons sombré complètement dans La dernière tentation et dans La vie rage. Pour moi ce sont les deux … je ne vais pas les qualifier d’échecs … Je dirais que ces spectacles ne se sont pas passés comme il était prévu. Je suis la seule à blâmer et c’est surtout parce que j’ai eu peur des auteurs. Ce sont deux auteurs colosses – Kazantzákis et Dostoïevski. Ils sont si puissants que je n’ai pas su les conquérir. Quand on envisage de se plonger dans la mer et y nager, on doit être prêt à lutter avec cette mer et non pas se laisser aller. Moi, je me suis laissée aller parce que j’éprouvais un tel respect pour ces auteurs que je me suis sentie toute petite, j’ai alors décidé de servir leurs textes. Mais c’est de la littérature. Or, le théâtre n’est pas de la littérature ! C’était la raison pour laquelle ces spectacles ne se sont pas passés comme il fallait. Quand j’ai commencé Le dernier homme d’après Orwell, qui est aussi un grand auteur, j’avais cette même crise. Je recherchais à nouveau l’auteur et je me rappelle que c’était un véritable cauchemar avant de réussir à prendre sur soi. On doit se mettre face à l’auteur. Je ne vois pas d’autres moyens. Il faut vivre le texte, constater son génie ne suffit point. Oui, il est génial, mais cela reste de la littérature. Je n’ai pas permis à Orwell de me noyer, de m’entraîner.

Nikola Vandov. Tes spectacles sont étroitement liés aux abîmes de l’âme, la peur, par exemple. Ce sont peut-être les cauchemars et les visions qui te tourmentent et que tu cherches à extirper progressivement. Et si oui, ces spectacles sont-ils libérateurs ?

Veselka Kuncheva. Le théâtre est une confidence personnelle. Il ne faut rien commencer au théâtre sans motivation personnelle. J’ignore si les spectacles me soignent. Je les vois plutôt comme des portes qui ouvrent certaines choses que je cache. C’est d’ailleurs un de nos piliers, à Marieta et moi-même – il faut éprouver une douleur aiguë pour commencer un spectacle. Pas simplement je veux te raconter une histoire de ma vie, mais quelque chose que je ne peux plus supporter. Et je dois me confier. Et ce n’est pas uniquement une histoire personnelle. Elle t’appartient à toi, à toi et à toi aussi. Le problème que nous partageons doit être universel. Aucun homme sur terre ne dira qu’il n’a pas peur, qu’il n’a pas de démons. Je ne sais pas si la création du spectacle m’aide d’une certaine manière. Si les spectacles sont sincères et on ne cherche pas à mentir, alors je pense qu’ils pourraient toucher plus de personnes.

Nikola Vandov. Je vois toujours dans tes spectacles un certain cri envers l’homme et j’étais agréablement surpris de voir que ce cris est un appel à l’amour dans María de Buenos Aires.

Veselka Kuncheva. Je suis souvent casée dans le groupe des metteurs en scène sombres, dépressifs. Je remarque seulement maintenant, intuitivement, que je commence à chercher cet espoir. Il est fragile mais j’ai constamment besoin de lui.

Nikola Vandov. On ne peut pas vivre sans espoir. On peut montrer ce qui somnole à l’intérieur de l’homme, mais une issue possible existe …

Veselka Kuncheva. Il se peut qu’une issue n’existe pas, mais l’espoir existe. (elle rit)

Nikola Vandov. Comment as-tu rencontré Marieta Golomehova ? Une telle symbiose relève du miracle et n’est pas donnée à tout le monde. Tu sais le nombre de metteurs en scène qui ne réussissent pas à atteindre la consécration à cause d’une crise de confiance dans leur équipe …

Veselka Kuncheva. Arrivée à la fin de mes études, juste avant d’obtenir mon diplôme, je me suis adressée à Slavcho Malenov et lui ai demandé à qui m’adresser pour la scénographie. Je ne pouvais pas me reconnaître dans les scénographes de ma génération, dans leur stylistique. Il m’a conseillé de trouver Marieta. Il me l’a décrite. Je ne l’avais jamais vue. Par le pur hasard, elle se trouvait actuellement dans le bâtiment central de l’Académie Nationale d’Art Théâtral et Cinématographique à Sofia, au troisième étage. Je descends dans la rue, je vois Marieta (il me l’avait très bien décrite), je me place près d’elle et j’entends la conversation qu’elle est en train de mener. Elle refuse un projet et explique être très occupée. Et je me dis que je n’ai vraiment pas de chance ! Quoi qu’il en soit, je me lance, je lui décris mon idée. J’avais décidé de mettre en scène Petit Zacharie, surnommé Cinabre. C’est là qu’elle me demande quel est le thème. Je lui ai répondu que c’est la médiocrité et elle m’a répondu qu’on pouvait commencer à travailler. Nous avons commencé à nous rencontrer. Les débuts étaient éprouvants. Cette femme a tellement d’énergie que je ne pouvais pas la supporter. Je suis introvertie, elle est extravertie. J’aime tout d’abord réfléchir, elle déballe tout et réfléchit ensuite. À chaque fois que je rentrais à la maison après nos rendez-vous, je me couchais afin de récupérer mon énergie. Elle m’épuisait littéralement par des idées, des images et des réflexions. Je me sentais prise au cœur d’un ouragan. Petit à petit, j’ai commencé à m’adapter. Non pas qu’on puisse contenir un ouragan – c’est encore impossible aujourd’hui. C’était un processus puissant, et je savais qu’on allait travailler ensemble toute notre vie. Certaines rencontres dans la vie sont tout simplement significatives. Tu ne luttes même pas. C’est un savoir donné de là-haut, point barre. Marieta est la personne la plus importante pour moi, et je ne peux pas séparer mon œuvre de la sienne. C’est une simple symbiose, voilà pourquoi c’est très bizarre de parler de mon théâtre, ce n’est pas le mien, c’est le nôtre.

Nikola Vandov. Théâtre de marionnettes, théâtre dramatique, opéra, maintenant cinéma … Comment fais-tu pour passer de l’un à l’autre ? Y a-t-il quelque chose qui ne te suffis      pas dans le théâtre de marionnettes ? L’envie d’aller vers l’opéra vient-elle du fait que tu veux dire des choses qui ne peuvent pas être dites par les seuls moyens du théâtre de marionnettes ?

Veselka Kuncheva. Je crois vraiment qu’on doit aller vers le théâtre des arts synthétiques. Il est grand temps de commencer à détruire ces frontières entre théâtre de marionnettes, dramatiques, de mouvement, documentaire … Je pense que le théâtre doit être capable de manier tous les moyens d’expression. Les restrictions viennent du fait qu’en réalité le théâtre de marionnettes travaille avec des dimensions concrètes sur scène. Comment faire Jesus Christ Superstar au théâtre de marionnettes ?

Nikola Vandov. Tu te rends compte que la marionnette peut faire beaucoup de choses mais qu’elle a ses limites ? Quels sont les points forts et les points faibles de la marionnette ?

Veselka Kuncheva. La marionnette n’a pas de faiblesses ! La question c’est de savoir si l’on a vraiment besoin d’elle. C’est la même chose que de commencer à faire un spectacle – on doit avoir besoin de le faire, de le crier. C’est la même chose avec la marionnette. On ne peut pas simplement prendre une marionnette parce qu’on est au théâtre de marionnettes. On doit avoir besoin d’elle, plus encore elle doit être faite de telle façon qu’on ne puisse pas la substituer. C’est ce qu’est le théâtre de marionnettes. Il est beaucoup plus complexe puisqu’il faut tout d’abord imaginer ce qu’on veut dire, le synthétiser, et c’est ensuite qu’on l’exprime à travers la marionnette. Je sais que la marionnette ne peut pas supporter beaucoup de texte. Il faut synthétiser les choses pour qu’elle puisse les exprimer par son action, son image et ses capacités.

Mihail Baykov. J’attire ton attention sur un spectacle important de votre carrière – Moi, Sisyphe. Quel chemin avez-vous parcouru ?

Veselka Kuncheva. Le chemin était long. Les répétions ont duré neuf mois, le temps d’une grossesse. Nous avons parcouru énormément de faux chemins. Nous revenions. Nous repartions et nous revenions. À un moment j’avais la sensation d’être devenue moi-même Sisyphe. C’était interminable. Un cauchemar et un bonheur. C’est l’un des processus les plus puissants. Moi, Sisyphe a commencé comme un spectacle habituel. Le sens de la vie était le thème qui nous intéressait. Marieta n’était pas très contente puisqu’elle n’est pas une personne sombre. Elle a fini par accepter et nous avons commencé les expérimentations. Une quantité exorbitante d’expérimentations qui nous a permis petit à petit à voir ce qui était correct. Tu sais que le fondement de ce spectacle est l’œuvre de Camus, Le Mythe de Sisyphe. L’un de mes souvenirs les plus forts est lié à la première du spectacle. Ce spectacle avait deux premières, l’une – au printemps, et une autre à la rentrée. Après la première date nous devions encore affiner certaines choses avec l’acteur Hristo Takov. La différence entre les deux premières était remarquable. Dans le premier spectacle je n’avais inclus aucun texte. Je m’étais alors fixée le but de faire un spectacle sans texte, je voulais exprimer nos idées à travers le visuel et l’action, l’éclairage et la musique. J’ai alors compris que je m’étais transformée en tyran du spectacle. Le lien entre un spectacle et celui qui le crée est le même que celui entre un parent et son enfant. Et c’est au parent de savoir quand faut-il aider son enfant à faire ses premiers pas et quand faut-il le laisser tout seul faire ses choix, décider de ses chemins : tomber, se relever, pleurer, rire. Et quand le parent se permet d’insinuer ses propres ambitions, c’est de la tyrannie. Cela m’est arrivé mais je pense que j’ai toujours su revenir en arrière et laisser le spectacle partir seul. J’avais décidé que Moi, Sisyphe n’aurait pas de texte, et quand j’ai compris que c’était de l’égoïsme pur, et que le spectacle n’avait pas simplement besoin de texte, mais de poésie, c’était une de mes plus grandes leçons. Mais comme nous étions à une semaine de la première au moment de cet éclaircissement, je devais littéralement écrire l’intégralité du texte en un jour et une nuit. J’ai téléphoné à Leonid Yovchev, magnifique dans son interprétation et nous avons changé le spectacle en deux jours avec Hristo Takov.

Mihail Baykov. Comment sont nés ces textes poétiques ?

Veselka Kuncheva. Le spectacle les a voulus. Je ne voulais pas les écrire. C’était le spectacle qui, tel mon enfant, m’a demandait de l’aider, ce qui est différent.

Mihail Baykov. Moi, Sisyphe a beaucoup voyagé. Comment est-il accueilli  ? Qu’est-ce qu’on vous dit après le spectacle ?

Veselka Kuncheva. On nous dit des choses différentes. Moi, Sisyphe est très bien accueilli partout où nous sommes allés. Le spectacle est universel. Le problème soulevé ne connaît pas de nation, de continent, de pays. D’ailleurs c’est pour cela que son accueil est le même partout.

Mihail Baykov. Le confort et l’énergie sont-ils les mêmes quand tu travailles avec une personne sur une petite scène et quand il y a un orchestre, un ballet, des artistes ?

Veselka Kuncheva. C’est très différent. À chaque fois que je touche à de grands projets comme María de Buenos Aires ou Jesus Christ Superstar, je me jure de ne plus jamais le refaire. (elle rit) Dis-toi bien que l’énergie que tu déploies pour une personne, tu dois la déployer pour 80 personnes. Pourtant, ce n’est pas unilatéral car quand on donne, on reçoit aussi. Reprendre l’énergie d’une personne est une chose, reprendre l’énergie de 80 en est une autre. On a littéralement la sensation d’être drogué. La charge est très puissante et c’est très beau. Cela ressemble au saut à l’élastique.

Nikola Vandov. Tu as dû remplacer l’acteur dans Moi, Sisyphe. Permets-tu au nouvel acteur de choisir son propre chemin et le suis-tu en tant que metteur en scène ?

Veselka Kuncheva. Oh, bien sûr. Quand nous avons commencé à travailler avec Stoyan Doychev, je lui ai dit que je le laissais agir en toute liberté pour se reconnaître en Sisyphe. Et si Hristo Takov s’était reconnu dans tel Sisyphe, je comprenais et j’insistais même pour que Stoyan se reconnaisse dans un autre Sisyphe, dans le sien car nous sommes tous différents. Au cours des répétitions avec Stoyan, il a trouvé beaucoup de choses qui lui étaient propres, je l’ai aidé à les développer, à les enrichir pour qu’elles deviennent les siennes. C’est extrêmement important. On ne peut pas simplement faire entrer quelqu’un dans une peau étrangère, si on le fait, cela va être évident.

Mihail Baykov. Qu’est-ce qui manque, d’après toi, aux directeurs bulgares des théâtres de marionnettes pour créer le confort nécessaire au metteur en scène afin qu’il puisse travailler tranquillement ? Et qu’est-ce que tu dirais à ceux qui malgré tout réussissent à le faire ?

Veselka Kuncheva. Nous venons de terminer le laboratoire portant sur Le Maître et Marguerite au Théâtre de marionnettes à Stara Zagora, et je peux dire sans hésiter une seule seconde qu’à mes yeux Darin Petkov est le seul Don Quichotte dans le théâtre de marionnettes. Il est le seul à investir des ressources et des moyens dans la recherche de nouvelles formes et d’un nouveau langage. Il est prêt à expérimenter sans avoir des garanties qu’il y aura des résultats et que cela lui apportera des profits. Il désire que l’art bulgare de marionnettes se développe, et il est bien le seul à offrir des opportunités pour cela. Tous les directeurs sont pressés d’obtenir des résultats rapides, Darin se trouve dans la même situation. Cependant, on sait tous très bien que quand le but est le résultat et non pas l’art, on obtient juste des résultats. Quand ces directeurs sont mis au pied du mur afin d’obtenir des résultats – ils poursuivent des résultats, obtiennent des résultats et toute la machine commence à fonctionner pour ces résultats. Nos combats, ceux du metteur en scène, du scénographe et des acteurs viennent ici – avoir suffisamment de      temps pour obtenir non simplement des résultats, mais pour créer un nouveau monde. Après tout, le spectacle est réellement un nouveau monde. Un monde dans lequel les créatures parlent une autre langue, la gravitation est différente, le ciel est d’une autre couleur, tout est différent. C’est la même chose qu’un enfant – on ne peut pas accoucher en trois mois parce qu’on est pressé et on a autre chose à faire. Ce n’est pas possible, il faut du temps. Il faut le porter à terme, or cela n’est pas dans les priorités du moment. Et non seulement ce n’est pas prioritaire, ce n’est pas toléré, et c’est le début du grand problème du théâtre bulgare. Le manque d’envie de porter le spectacle à terme, de prendre soin de lui, d’attendre sa naissance. Ce travail à la chaîne n’est pas propre uniquement au théâtre, c’est propre à la vie de façon général.

Mihail Baykov. Ce processus est-il réversible ?

Veselka Kuncheva. Absolument. Je pense que les choses peuvent s’améliorer pourvu que tout le monde le veuille. Il faut arrêter de faire à la va-vite des spectacles parce que c’est une injure pour tous ceux qui participent au processus. C’est insultant à l’égard de l’art de la marionnette, à l’égard des gens qui le font, à l’égard du public. Je ne peux pas me résigner mais je sais que cela va toujours continuer.

Mihail Baykov. Es-tu optimiste à l’égard du théâtre bulgare de marionnettes ? Penses-tu qu’il y aura un élan par rapport à ce que vous faites avec Marieta, que cela soit continué ?

Veselka Kuncheva. L’esprit humain renaît toujours, même en l’écrasant plusieurs fois, voilà pourquoi je pense qu’il y a de l’espoir. Même si la médiocrité n’arrête pas d’envahir l’art, il renaîtra toujours. Il y a aura toujours des merles blancs. Je ne peux cependant pas dire que tout l’art de la marionnette prendra son élan. C’est une utopie. Cet art trouvera toujours des moyens pour réussir, pour reprendre son souffle, pour voler. Il ne faut pas oublier que l’école bulgare de marionnettes est l’une des plus puissantes et développées. Le théâtre bulgare de marionnettes réussira toujours.

Nikola Vandov. Est-ce que tu sais déjà quel sera l’auteur que tu choisiras après Boulgakov ou est-ce une décision situationnelle ?

Veselka Kuncheva. Il y a des auteurs qui m’ont toujours impressionnée. Patrick Süskind en est un exemple. Je rêve de mettre en scène Le Parfum depuis longtemps, mais je me suis achoppée aux droits d’auteur pour la énième fois. Je voudrais aussi mettre en scène 4.48 Psychose de Sarah Kane.

22.09.2020