« KuklArt » Magazine

La marionnette est une unité invariable, sans elle le théâtre de marionnettes n’existerait pas

Natalia Aleksieva / Personnalités

— Natalia Aleksieva discute avec la metteur en scène Elitza Petkova

Comment as-tu choisi le théâtre de marionnettes et la mise en scène? À moins que ce soient eux qui t’aient choisie ?

Ma candidature pour devenir marionnettiste fut retenue puisque celle pour devenir actrice fut refusée. D’ailleurs, j’ai été refusée deux années consécutives au concours d’art dramatique. La première année, je ne m’étais même pas présentée au concours d’entrée pour faire des études de marionnettes. Ce n’est que la deuxième fois que je me suis présentée aux deux concours. C’est à ce moment-là que ma candidature de marionnettiste fut retenue. J’étais la première de la liste et je fus admise dans la classe du professeur Zheni Pashova et du maître de conférences Petar Pashov-Pashata. L’ambiance de l’examen m’a beaucoup plu – la salle était claire, tu pouvais les voir et leur parler.

J’étais complètement nulle la première année, j’étais persuadée que j’allais être renvoyée. Mais à la fin du deuxième semestre Pashata a proposé à Stefan Dimitrov de le transférer dans la classe de mise en scène, et c’est ainsi que j’ai commencé à fréquenter les deux classes. Velislava Kirilova nous a ensuite rejoint, et nous avons formé un groupe. Toutefois, je n’avais la moindre intention de changer de classe. À la fin du semestre Pashov nous a demandé de choisir des nouvelles de Tchekov pour l’examen et je fus de suite d’accord.

Tout ce qui a trait à la mise en scène est arrivé grâce à Pashata. Je ne me suis jamais rendu compte que je souhaitais faire de la mise en scène, encore moins devenir metteur en scène. J’ai choisi Caméléon de Tchekov pour l’examen – un extrait avec des marionnettes appelées yavayki[1]. Mon programme est devenu bien chargé d’un coup car je devais boucler deux années d’étude de mise en scène en une seule, tout en continuant à suivre les cours d’art dramatique avec ma classe. Nous participions à tous les spectacles de fin d’étude. Et en plus, chacun devait réaliser son spectacle de mise en scène. Même si cela demandait beaucoup d’efforts, c’était une belle période.

Juste après la fin de tes études tu commences au Théâtre de marionnettes à Sliven. Est-ce que jouer t’intéresse toujours ?

Non, plus maintenant. Je ne suis plus attirée. Toutefois, le Théâtre de marionnettes à Sliven est très spécial pour moi. Je me souviens de mon premier spectacle, c’était La Belle au bois dormant, mise en scène par Zlati Zlatev. J’y ai beaucoup joué et j’ai visité beaucoup de festivals avec ce théâtre – nous avons parcouru la Russie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Turquie …

Et c’est ainsi que tu es passée du métier de comédienne à celui de metteur en scène …

Grâce à Kiryakos Argiropulos et Petar Pashov. Tout a commencé par les spectacles de fin d’études qui sont impérativement évalués par une personne externe. Pour moi ce fut Kiryakos qui était présent dès le premier semestre. C’est le moment des épreuves de dramaturgie, de mise en scène et de scénographie. Il a beaucoup aimé Un conte de fées blanc que j’avais présenté à l’Académie Nationale d’Art Théâtral et Cinématographique de Sofia. Il m’a proposé de le mettre en scène au Théâtre de marionnettes de Sofia mais nous avons beaucoup tardé, et au final cela ne s’est pas fait … Plus tard, Ivaylo Nikolov m’a montré le livre Timm Thaler ou Le rire vendu et nous avons décidé de le proposer à Kiryakos, bien que le projet était tout à fait prêt – avec une scénographie, des marionnettes et une dramatisation. Nous nous sommes rendu dans son cabinet comme si nous allions à un examen – avec nos petits dossiers sous les bras, des dessins, des marionnettes, des projets imprimés. Nous étions très nerveux, Ivo, Iva et moi-même, nous avions la boule au ventre. Alors qu’il a simplement dit C’est d’accord ! C’est ce concours de circonstances qui m’a permis de me lancer et de faire connaître notre travail.

C’est ainsi que s’est fait le spectacle Timm Thaler ou Le rire vendu, non pas sans quelques conflits. Imaginez-vous – le metteur en scène jeune, fraîchement diplômée de l’Académie Nationale d’Art Théâtral et Cinématographique, alors qu’il a en face de lui huit hommes, huit comédiens de renom. Ils étaient très exigeants vis-à-vis de mon travail, mais je l’étais aussi vis-à-vis de leur. Des fois, ils considéraient que ce que je leur demandais n’était pas correct, n’était pas à sa place. En fin de compte le résultat est bon. Cependant, il est vrai que le spectacle n’avait pas de grandes chance de durer puisque les auteurs et les titres moins connus se vendent difficilement.

Tu as déjà mentionné ta collaboration avec Ivaylo Nikolov et Iva Gikova, le compositeur Plamen Petkov fait aussi partie de votre équipe. Mais est-ce que tu n’as pas l’impression de passer à côté de la possibilité de travailler avec de nouvelles personnes, de sortir de ta zone de confort, d’éveiller ainsi ta créativité, de te plonger dans l’inconnu ?

Peut-être, dans une certaine mesure. Mais ce n’est pas une question d’habitude. Il ne m’est jamais venu à l’esprit de chercher un scénographe. Même quand on travaille ensemble avec Ivo et Iva, nous ne sommes pas toujours d’accord. Notre travail présente de nombreux défis. En tant que duo, Ivo et Iva ont parfois des points de vue complètement différents. Moi aussi de mon côté. Chacun essaye de prendre le dessus. Un jour, il y a quelques années de cela, Kiryakos Argiropulos m’avait conseillé de ne pas travailler avec les mêmes scénographes car je risquais de faire du surplace. C’est sans doute vrai mais je n’éprouve pas un besoin de changement pour l’instant.

Ce qui est bien dans notre équipe, c’est que les échanges d’idées commencent dès le choix du texte. Quand un directeur nous contacte, nous commençons par faire des recherches ensemble. C’était le cas avec Benjamin au pays des menteurs, par exemple. Je m’étais plongée dans la littérature pour enfants à la Bibliothèque de Sofia, et un jour Ivaylo m’a proposé ce texte. Je l’ai lu et il m’a saisie de suite.

Parlons du texte … On a l’impression que tu choisis toujours de grands textes classiques qui ont besoin d’être travaillés pour pouvoir vivre sur scène. Cependant, tu ne travailles jamais avec un dramaturge pour l’adaptation. Tu l’écris toute seule. Pourquoi ?

Je pourrais travailler avec un dramaturge, mais aucun nom ne me vient à l’esprit. Ce qui me gêne le plus dans une telle collaboration possible, c’est qu’il y a un lien très fort entre les dramatisations et la mise en scène. Mes dramatisations ne représentent pas un texte quelconque sur lequel je dois la fonder. Honnêtement, partager ce processus avec une autre personne me paraît très compliqué. Il est déjà assez difficile quand je le fais toute seule.

Je fais les dramatisations en deux étapes. La première c’est au moment de la lecture. J’écris parallèlement la dramatisation et la mise en scène. Après avoir terminé, je laisse suffisamment de temps avant de la relire. Et là, je commence à l’analyser comme une pièce de théâtre écrite par quelqu’un d’autre : thème, idée, conflit. Ce processus me plait énormément. Je passe beaucoup de temps sur le texte et cela m’aide par la suite, au moment du travail avec les acteurs.

Je suis disposée à expérimenter avec de nouveaux textes, s’ils sont de qualité. Je ne voudrais pas dire du mal de la nouvelle dramaturgie, faut-il encore qu’elle existe. Le souci, c’est qu’il n’y pas suffisamment de littérature contemporaine bulgare. Comment voulez-vous qu’un second Valeri Petrov fasse son apparition ? Quand on n’écrit pas assez, le progrès n’est simplement pas possible.

Le théâtre de marionnettes en Bulgarie a pris beaucoup de retard par rapport au reste du monde. Pendant longtemps les théâtres ont misé sur des textes classiques comme : Le Petit Chaperon rouge, Les Trois Petits Cochons, etc. La plupart des gens qui fréquentent le théâtre de marionnettes n’ont vu que ça, et s’attendent à y voir ce type de textes. S’ils souhaitent regarder du contemporain, ils vont au cinéma et regardent des films comme La Reine des neiges. Il y a comme un gouffre avec énormément de littérature, y compris contemporaine, qui est tout simplement tombée dans l’oubli, méconnue du public. C’était le cas de Timm Thaler ou Le rire vendu et de Benjamin au pays des menteurs. Je comprends les gens. D’autant plus que les enfants aiment ce qu’ils connaissent. Et quand ils vont voir un spectacle d’après un conte qu’ils ont entendu plusieurs fois à la maison, ils sont heureux surtout parce qu’ils le connaissent. Ils deviennent fous de joie, en attendant une scène ou un héros.

Quand il s’agit d’œuvres classiques, penses-tu que le public s’attend à une mise en scène classique, une scénographie classique ? Votre style introduit de nouveaux éléments, différents de ceux que le public a l’habitude de voir au théâtre de marionnettes. Tes spectacles occupent l’intégralité de la scène, on y trouve des éléments comme le métal, des couleurs plus sombres, des objets et marionnettes plus volumineux …

La vérité c’est que notre équipe ne s’est jamais heurtée à une méfiance de la part des directeurs en ce qui concerne la scénographie. Je sais que beaucoup de mes collègues sont d’accord pour faire des compromis afin que le spectacle soit mobile, puisse être joué sur une petite scène, soit le moins cher possible, etc. Naturellement, nous avons eu des discussion au sujet du spectacle, pourquoi tel élément est aussi grand ou pourquoi utiliser du métal, pourquoi le gris. Et c’est bien normal. En fin de compte, si tu peux défendre tes choix, les directeurs sont d’accord. Je n’ai jamais imaginé que quelqu’un puisse me dire ne le fais pas ainsi. Quand nous allons aux rendez-vous avec les directeurs, nous sommes immuables. Il se peut que certains élément déplaisent au directeur. Toutefois, il ne peut pas nous les reprocher car dans la mise en scène que nous lui proposons ce choix est toujours justifié.

Jusqu’à présent tu n’as fait que des spectacles pour enfants. As-tu envie d’essayer de faire un spectacle pour adultes ?

Je n’ai jamais éprouvé un tel besoin. Faire des spectacles pour enfants est un véritable plaisir pour moi. En effet, je n’ai jamais fait de spectacles enfantins. La mise en scène est telle que Petar Pashov me l’a apprise – il faut qu’il y ait un thème, une idée et un conflit. Que le spectacle soit destiné aux enfants ou aux adultes n’a aucune importance. Il faut toujours développer le thème, l’idée, le conflit, un point culminant, il faut dire quelque chose aux gens, il faut avoir une structure. J’ai souvent entendu que les enfants ne saisissent pas facilement et qu’il faut simplifier pour eux. J’ai aussi entendu dire que ce que je faisais n’était pas pour les enfants. À mon avis, si un spectacle manque un ou plusieurs des éléments essentiels que j’ai cités, peu importe le type de public auquel il s’adresse, il sera toujours médiocre. Or, les enfants ne méritent pas d’être sous-estimés.

Parle-moi de ton travail avec les étudiants du professeur Ivaylo Hristov pour le spectacle Nous, les moineaux au Théâtre de la jeunesse à Sofia ? Y avait-il des différences dans l’approche de ton travail avec eux ?

C’était très bien, je me sentais libre avec les étudiants. Le défi est venu du texte, où les rôles féminins manquaient, alors que la classe comptait dix filles. Dans la plupart des cas, les spectacles d’étudiants à l’Académie se jouent avec plusieurs castings différents. Mais c’est très dégradant d’obtenir son diplôme en tant que deuxième ou troisième casting. Et je pense qu’il est grand temps de supprimer cette pratique. La difficulté que j’ai rencontrée au cours des répétitions de ce spectacle venait de l’effort de faire ressortir quelque chose d’unique pour chacun des comédiens. En plus, en raison du nombre d’élèves dans la classe, je me suis vue obligée à séparer les élèves en trois castings. En revanche, je tenais à ce que chaque groupe, chaque casting ait ses propres interprétations. Il n’y a pas de mise en scène prédéfinie, les choses se passent différemment en fonction de la sensibilité et de la spécificité des acteurs. J’insistais à ce que le deuxième groupe ne répète pas ce que faisait le premier, que chacun élabore le rôle à sa façon, avec ses propres sensations.

Penses-tu que le théâtre subira des changements, impacté par la pandémie?

C’est une question de temps. Je ne suis pas allée au théâtre depuis le début de la pandémie, mais la vérité c’est que le public a besoin du théâtre. Tous ceux qui y vont le prouvent, même si les salles ne sont remplies qu’à 30%. Cela signifie que le théâtre a son public. Tant qu’il y en a, tout est possible.

Sinon, les changements sont très difficiles en Bulgarie. Je ne pense pas que le processus de répétitions va radicalement changer, on va tout simplement continuer à respecter les gestes barrières, on va porter des masques. En ce qui concerne les spectacles en ligne, ce n’est simplement pas du théâtre, et surtout pas la forme qu’il prend en Bulgarie. La plupart de ces spectacles sont filmés de manière documentaire, dans le seul but de pouvoir servir les archives du théâtre. Ils ne sont surement pas destinés à une diffusion publique. Ils ne sont pas conçus pour être vus par un public, ayant la sensation d’être dans la salle. Pour filmer le spectacle dans un autre but que celui des archives, on doit avoir des ressources, embaucher des professionnels – chefs opérateurs, metteur en scène … Et je trouve vraiment ridicule d’essayer de filmer des marionnettes. Elles ressemblent à des créatures mortes, surtout quand le chef opérateur n’est pas un professionnel.

Est-ce que la marionnette est encore utile au théâtre de marionnettes ?

À mes yeux, la marionnette au théâtre de marionnettes est une unité invariable. Je ne peux pas concevoir le théâtre de marionnettes sans la marionnette, même quand il a recours à des procédés de marionnettes. Et si la marionnette n’est pas au cœur des événements, cela signifie qu’il n’y a pas de place pour elle dans le spectacle donné. Pour inclure une marionnette dans le spectacle, il faut sentir sa nécessité, elle doit avoir son sens.

 

Natalia Aleksieva

6.10.2020

[1] Ce sont des marionnettes créées par Sergey Obraztsov. Elles ont un piquet et deux bâtons.