« KuklArt » Magazine
Les Monstres de Duda Paiva
Albena Tagareva / Échos

Le spectacle du maître hollandais Duda Paiva suscite l’intérêt des enfants et des parents, abordant le thème des monstres de manière assez particulière. D’une part, les monstres sont des personnages passionnants que nous connaissons grâce aux contes de fées et aux films, dans lesquels ces créatures imaginaires deviennent vivantes et défient souvent notre sympathie par leur étrange apparence – certains drôlement déformés, d’autres ingénieusement assemblés. Néanmoins, ils ont leur côté sombre qui prend vie surtout dans l’imaginaire des enfants – c’est là qu’ils deviennent des créatures effrayantes, se cachant sous le lit, derrière la porte ou dans les coins sombres de la pièce, là où même les formes connues peuvent acquérir un aspect terrifiant. C’est précisément cette dualité et cette capacité de l’imagination à les rendre démoniaques ou sympathiques – des créatures agréables qui peuvent devenir sinistres à tout moment – qu’est mise au cœur du récit par le spectacle.
D’autre part, le mot monstrueux est souvent utilisé en tant qu’adjectif pour qualifier le comportement d’une personne envers les autres. Bien que nous soyons incapables de mesurer le monstrueux des vrais monstres, il reflète par exemple tout ce qui dépasse l’idée d’humain, aussi bien par ses aspects externes que par les manifestations de volonté. La connotation négative est fondée sur les prétendus et attribués actions, capacités et apparences non humaines aux créatures que l’on croit être des monstres.
L’entrelacement des différents sens (étranges et menaçants), inhérents aux principaux personnages, rend le spectacle compréhensible aussi bien par les enfants que par le public adulte. Le spectacle propose une conception particulière des manifestations de l’égoïsme humain. Monstres est une métaphore de ce que deviennent les gens – est-ce seulement notre apparence qui nous rend monstrueux ou est-ce notre comportement dans la société, notre attitude envers les autres ?
Le spectacle est peuplé de créatures mythologiques – mi-humaines, mi-animales, telles que le Minotaure, les Centaures, la Gorgone Méduse, les Harpies et bien d’autres. Le point commun entre toutes est que, selon la mythologie grecque, elles ne sont pas nées mauvaises, mais le sont devenues à cause de facteurs externes. On croit donc que c’est le lien avec les êtres humains – personne ne naît mauvais, il/elle le devient sous l’influence de quelque chose.
La structure du spectacle est fondée sur le cirque, dans lequel les animaux – ici, les monstres – défilent l’un après l’autre sur le manège, et où Narcisse, leur chef et dompteur, fait démonstration de leurs capacités devant les spectateurs. Ce cirque improvisé révèle les relations primaires entre maître et sujet. Cependant, la moindre distraction de la part du maître peut entraîner un changement de place. Et c’est ce qu’attendent les monstres – la possibilité de satisfaire leurs instincts.
Le contrôle du primaire est ici le principal élément. Au début, les interprètes posent plusieurs conditions au public : les monstres ne devront pas franchir la ligne de démarcation et devront recevoir leur friandise seulement en récompense du bon travail qu’ils ont accompli. Au cas où les règles sont enfreintes, le public est invité à réagir, afin qu’il puisse empêcher les actes incontrôlables des monstres.
Les interprètes combinent le marionnettiste avec des techniques de mouvement et une présence d’acteur presque brechtienne. Ce mélange donne à la représentation une sensation sévère qui parfois ressemble à un refus. Ainsi, la frontière entre marionnette et interprète est très nette. Même si la technique de gestion oblige l’interprète à habiller la marionnette, les frontières entre les deux sont clairement établies. Les matériaux de fabrication des marionnettes contribuent à cet effet. Ils permettent aux spectateurs de voir nettement la transformation immédiate des marionnettes. Par exemple, lorsque l’un des monstres apparaît sur scène, le public voit d’abord une balle qui se métamorphose progressivement. Au début, l’image apparaît floue mais lorsque le matériau commence à s’étirer, les formes prennent vie.
Le spectacle tente de créer une réalité, à mi-chemin entre le vrai et le fantastique, entre le monde des humains et celui des créatures imaginaires, les monstres. Cependant, ils sont si profondément présents dans la vie humaine que souvent ils se confondent avec nous, tout comme le comédien et sa marionnette.
