« KuklArt » Magazine

Le conte comme un langue universel

Katerina Georgieva / Échos

Mettre en scène un spectacle en accord avec les traditions artistiques japonaises est pour le moins une aventure courageuse. Une quantité d’amour relativement grande est nécessaire pour ce type de théâtre. Sans aucun doute, Elena Panayotova (metteur en scène) et Viktor Boychev (directeur du théâtre) se donnent rendez-vous dans ce vaste pays du soleil levant et de la plus belle couleur, le rose. Cette année, le Théâtre national de marionnettes à Plovdiv présente son nouveau spectacle Le prince de la mer et le prince de la terre. Il se distingue du reste de la production théâtrale annuelle par une tentative audacieuse d’entraîner toute l’équipe dans une tradition séculaire, exigeant une résignation à long terme et une admiration pour la vie lente, encore peu connue en Bulgarie.

Le spectacle brille par son aspiration à raconter l’histoire d’un prince à la manière japonaise authentique. Il réussit à capter l’attention de petits et grands grâce aux valeurs du noble et humble caractère oriental. La construction de chaque scène propose une scénographie spécifique (la scénographie est confiée à Juliana Voykova-Nayman) qui donne vie à un monde différent et exquis, où l’esprit et la recherche d’une beauté esthétique doivent combattre le mal pur, incarné par l’homme et ses faiblesses terrestres. Armée de quelques préjugés discrets et d’une connaissance insuffisante des particularités de cet art ancien, je me laisse guider par les rebondissements des voix ; la musique interprétée par des musiciens sur scène ; l’effort d’exécuter avec grâce et une justesse tous les mouvements ; l’exubérance de l’image scénique, par sa splendeur, ses fleurs de cerisier et sa métamorphose numérique, invitant les enfants à connaître d’autres dimensions de la mer et de la terre.

Et si nous parvenons à assourdir notre voix professionnelle, ne serait-ce que pour quelques instants seulement, nous réaliserons que c’est une opportunité fascinante de s’immerger dans la narration. C’est ici que se niche la chance de voir la narration se déployer dans toute sa beauté et son mystère, grâce auxquelles elle a impressionné et enchanté des personnes de tout âge, de professions et horizons si différents. Bien sûr, la narration est confiée à des comédiens bulgares. Cette décision insolite rend le spectacle innovant et fait ainsi un clin d’œil à la sévérité de celui qui s’attend à voir un théâtre de marionnettes japonais formel. Le moment est-il venu de dire que sans cette compagnie, la tentative de raconter ce conte conformément aux exigences de ce type d’art de la marionnette n’aurait pas eu autant de succès ? Oui, je le dis. Bien entendu, la compagnie de comédiens du Théâtre de marionnettes à Plovdiv est célèbre pour son émotion créative d’un grand professionnalisme, nourrie, au cours des dernières années, par de nombreux défis. Mais cette volonté professionnelle, à la fois inconditionnelle et élégante, de se montrer capable d’exécuter une telle tâche humaine et dramatique, qui n’est ni familière, ni même compréhensible, mérite toutes les admirations. La concentration et l’effort de chacun des comédiens créent ce naturel, absolument nécessaire pour le spectacle sans quoi sa véracité aurait été vouée à l’échec. Je suis impressionnée par la capacité de ce type de compagnie à former une entité, et ce malgré la diversité et la richesse de chacun de ses comédiens.

Le conte a bien fait son travail – le spectateur est enchanté par la force de la narration, il se transporte aisément dans le monde des samouraïs japonais, des princesses et des poissons magiques. Mais pourquoi donc ce spectacle est-il destiné aux adultes ? Pourquoi n’est-il pas conçu aussi pour les enfants ? Ce serait une expérience précieuse justement pour eux que de pourvoir s’imprégner dans un monde théâtral différent d’une toute nouvelle culture, qui conte avec tant d’amour et de passion inconnue des histoires. Laissez les enfants regarder ce spectacle ! Je suis certaine qu’ils en profiteront inconditionnellement. Peu importe qu’ils ne sachent pas ce qu’est un bunraku ou un kabuki. Ils savent ce qu’est un conte …