« KuklArt » Magazine

Le Pays d’Oz

Zornitsa Kamenova / Échos

Michel Tournier (qui n’est pas particulièrement connu pour ses œuvres destinées aux enfants) reconnaît qu’un livre est fait pour enfants s’il y voit les caractéristiques suivantes : un récit bref, une clarté et un rythme soutenu[1]. Cette définition peut être en grande partie transposée au théâtre. De la même façon que le livre, un spectacle théâtral pourra rencontrer son jeune public si son récit est bref, le message est clair, le rythme des événements, recréés à travers un dialogue fascinant et des personnages vifs, est soutenu.

Ce sont précisément ces spécificités qui permettent au premier spectacle de la nouvelle saison au Théâtre de marionnettes de Sofia, Le Pays d’Oz d’après le roman de Lyman Frank Baum, de trouver sa place parmi les œuvres qui ont le potentiel de rencontrer avec succès son public. Elitsa Petkova a endossé le rôle de metteur en scène, après avoir récemment obtenu son diplôme chez Petar Pashov. Elle est connue pour ses interprétations curieuses de Timm Thaler ou Le rire vendu d’après le roman de James Krüss au Théâtre de marionnettes de Sofia et Benjamin au pays des menteurs d’après le roman de Gianni Rodari au Théâtre de marionnettes à Stara Zagora (récompensé par le prix national Ikar du meilleur spectacle de marionnettes, en 2017). Le Pays d’Oz inaugure cette année la 10e édition du Festival des arts de la rue et de la marionnette à Sofia.

L’histoire du roman pour enfants dans le spectacle est réduite au voyage vers la Cité d’Émeraude, à la recherche du Magicien d’Oz dans une drôle de compagnie. Les personnages incarnés par des marionnettes sont Dorothy, petite fille perdue lors d’un cyclone au Kansas (marionnettiste – Vanya Kamyanska), un Épouvantail en paille sans cerveau (marionnettiste – Stefan Dimitrov), un Bûcheron en fer blanc sans cœur (marionnettiste – Stoyan Doychev) et le Lion sans courage (marionnettiste – Tsvetelin Pavlov). Ils espèrent qu’Oz donnera à chacun ce qui lui manque et fera rentrer la fille chez elle. Pourtant, le choix du titre présume plus qu’un simple récit de voyage. C’est ainsi qu’Elitsa Petkova propose d’emblée sa lecture de certains problèmes actuels, profondément liés à la formation de l’identité de l’homme moderne (bien sûr, vue à travers l’enfant), et la manière dont la manipulation influe sur la conscience. Le spectacle s’appelle Le pays d’Oz, où tout le monde, y compris le Magicien d’Oz, se retrouve en captivité d’un grand mensonge, d’une invention – les stéréotypes que la société impose aux modèles personnels et familiaux, et aux rôles sociaux. C’est pourquoi l’apparition d’Oz est l’un des moments les plus puissants. Il est en effet un drôle de mélange entre petit escroc et jongleur, ayant endossé de manière absurde le rôle de grand sorcier (interprété par Lyubomir Genchev). L’on pourrait aussi y lire une certaine parabole du passage à l’âge adulte, lorsque laissé seul, épris dans l’élan de mettre en œuvre son propre potentiel, l’individu passe par les étapes de prise de conscience de sa personnalité, dépasse les attentes des autres, rencontre des gens qui croient en lui et le soutiennent (dans ce cas grâce aux amulettes, ces chaussures rouges magiques et le baiser de la bonne sorcière Glinda, interprétée par Ana-Maria Lalova), et ceux qui lui mettent des bâtons entre les roues (la Méchante sorcière de l’Ouest, interprétée par Marieta Petrova). Après avoir découvert qu’Oz n’est rien d’autre qu’un fripon, les personnages comprennent que la seule chance de surmonter les clichés réside dans leurs propres capacités. La fin du spectacle déclare haut et fort : « Croyez en vous », et c’est justement le message notable et bien formulé, adressé au jeune public – le Lion prend conscience de son courage, le Bûcheron en fer blanc s’ouvre à l’amour, et l’Épouvantail se révèle capable de prendre des décisions raisonnables.

Il est d’une importance cruciale dans le travail de mise en scène d’être capable d’intégrité en harmonie l’ensemble des composants. La scénographie, œuvre d’Ivaylo Nikolov et Iva Gikova, recrée de façon fonctionnelle et correcte l’idée de mouvement, incarné par le vent –  image du moteur et symbole du changement. Bien qu’invisible, il est présent tel un leitmotiv dans les répliques, et encadre l’action, donnant à l’histoire une aisance aérienne, un jeu et un sentiment de passage du monde gris et ennuyeux de la prairie du Kansas à celui de la Cité d’Émeraude, un ailleurs, où règne la réalité magique et tentante. Les références à l’esthétique Steampunk semblent d’actualité et visuellement pensées, à la fois dans le décor rétro-futuriste que dans les costumes des acteurs : des uniformes de pilote avec des lunettes et des chapeaux de bombardier qui permettent de distinguer les comédiens manipulant des marionnettes de ceux qui jouent sans marionnettes (la Bonne sorcière, la Méchante sorcière et Oz). De même, la belle sensation de mouvement, de voyage et de prise de conscience est créée à travers l’environnement musical expressif, œuvre du compositeur Plamen Petkov.

Un autre avantage sérieux du spectacle réside dans le jeu et la capacité des marionnettistes à raconter l’histoire de manière convaincante, à nouer des relations claires entre les personnages, et en même temps à faire ressortir des caractéristiques vives et essentielles des marionnettes ou des personnages recréés.

Le Pays d’Oz trouvera assurément une résonance chez ses petits spectateurs, car il soulèvera des questions, et révélera probablement des aspects importants de notre vie moderne, grâce au langage du théâtre pour les enfants.

[1] Tournier, Michel. Écriture pour enfants. Vendredi ou la vie sauvage.