« KuklArt » Magazine

Le monde coloré d’un Pinocchio tout en noir et blanc

Natalia Aleksieva / Échos

Le spectacle Pinocchio, mis en scène par Todor Valov, se transforme en un récit profond, contant le passage à l’âge adulte émotionnel d’un enfant, à travers les choix qu’il fait. De son côté, l’aspect visuel du spectacle nous fait faire un bond en arrière, un siècle plus tôt, grâce à l’esthétique du cinéma muet. Pour ce faire, il se sert de la pantomime, du grotesque, mais aussi des références aux personnages du film Le Kid de Charlie Chaplin. De plus, le changement des scènes s’opère sur le même modèle que celui du film. Le metteur en scène déclare ses intentions dès l’entrée du public : tandis que les enfants et leurs parents prennent place dans le salon, les comédiens sont déjà sur scène. Dimitar Pishev, vêtu tout comme le Charlot de Chaplin, joue de la guitare, alors que le Gosse (Martin Pashov) court partout et fait des bêtises.

En une heure, la version scénique de l’histoire la plus connue de la marionnette qui désirait de tout cœur devenir un petit garçon, nous conte avec passion le roman de Carlo Collodi. L’histoire de Pinocchio s’entremêle habilement avec celle des personnages de Chaplin, en nous proposant un deuxième niveau de compréhension, facilement assimilé par les adultes, sans pour autant gêner la lecture que font les petits des aventures de Geppetto et du garçon. Les comédiens offrent des personnages d’une profondeur remarquable qui mettent en lumière l’essence de l’histoire. Oui, nous sommes témoins d’une multitude de prouesses magiques et fantastiques, mais chacune d’elles sert un message bien précis : l’inconstante nature de la gloire, le lien entre amour et souffrance, les dangers que cachent l’amusement, et les risques du mensonge.

L’espace scénique est divisé en deux parties grâce à un écran blanc, placé au fond de la scène, sur lequel défilent des projections au début et à la fin du spectacle. Mais il a une seconde fonction, très importante – séparer le réel du magique. C’est justement derrière cet écran blanc qu’apparaît la Fée bleue qui insuffle la vie à la marionnette, créé par Geppetto. C’est aussi en le traversant que Pinocchio devient véritablement un petit garçon à la toute fin de la pièce. La scénographie, œuvre de Natalia Gocheva, n’abonde pas d’objets, en revanche chacun d’entre eux possède plusieurs fonctions. Ainsi, le piano que l’on voit dans la première scène se transforme aisément en atelier du menuisier Geppetto, pour devenir ensuite un buffet dans une auberge. Les grandes marionnettes sont toutes conçues dans une même esthétique. Le reste du décor inclut des chaises et porte-manteaux en bois, typiques de l’époque recréée.

Le spectacle n’aurait pas été aussi beau sans l’énergie contagieuse et l’application des cinq comédiens – Martin Marinov et les débutants Svetlina Stancheva, Iveta Marinova, Dimitar Pishev et Martin Pashov. La façon dont Martin Pashov endosse le rôle de son personnage, la marionnette Pinocchio, lui souffle la vie tout en étant en parfaite harmonie avec lui, est saisissante. Un autre élément important de la marionnette est l’élargissement de son nez quand elle ment. Durant tout le spectacle je n’arrêtais pas de me questionner comment cela se faisait-il. Bien entendu, cet élément-là fait partie de l’histoire originelle, mais tous les spectacles ne réussissent pas ce pari. Rien que cette année, je suis allée voir quatre spectacles d’après le conte de Carlo Collodi, et c’était bien le premier, où la magie faisait véritablement son effet, si essentiel à l’histoire.

Le spectacle Pinocchio, mis en scène au Théâtre de marionnettes à Russé, est non seulement un plaisir pour les yeux, mais aussi une provocation de l’esprit, et un rappel pour les spectateurs de tout âge d’écouter plus la petite voix cachée au fond de l’être, qui l’incite à faire les choses justes.